On assiste depuis quelques années à l’émergence d’un discours dit « pro sexe », du nom d’une branche particulière du féminisme. Le féminisme pro sexe est défini comme suit par la réalisatrice et journaliste (et ancienne actrice porno) Ovidie : « Le féminisme pro-sexe part du principe que les femmes doivent s’assumer en tant que femmes et non en imitant les hommes, et qu’il est important de déculpabiliser leur rapport à leur corps. Et dans ce sens, la question du sexe positif et de la pornographie est centrale, et les métiers du sexe ont donc un rôle à jouer pour que les femmes s’amusent sexuellement. Le sexe, c’est important ; on ne peut pas espérer une société égalitaire là où il y a répression du sexe. »

De manière schématique, ce courant de pensée pose le postulat que les femmes doivent réinvestir leur sexualité, le sexe étant considéré comme un instrument de pouvoir pour celles qui s’en emparent. Il est, de façon plutôt logique, favorable à un certain laisser-faire en matière de pornographie et de prostitution.

Après avoir été corseté pendant des années, le corps féminin se libère, conquiert enfin son indépendance. Une libération qui, pour les féministes « pro-sexe », passe par la nécessité de se réapproprier sa sexualité, et d’en faire aussi bien un motif de fierté qu’un outil de pouvoir.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, je tiens à préciser que je crois bien évidemment au bien-fondé d’une libération des corps. Le sexe étant un endroit exclusif, intime, profondément subjectif, chacun.e doit pouvoir le vivre comme il ou elle le souhaite. Il ne sera pas question ici de dénier aux individus le pouvoir ou l’épanouissement qu’ils peuvent retirer de leurs activités sexuelles, mais bien de questionner l’influence globale du marché du sexe sur les relations entre les femmes et les hommes et les mécanismes de domination qui y sont afférents. Et de remettre en question les idées avancées par le féminisme pro-sexe, qui sous couvert de libérer les femmes, ne fait que les enfermer dans le rôle auquel le patriarcat les a dévolues.

Pro-sexe… anti-sexe ?

Le premier problème du féminisme pro-sexe … n’est rien moins que son nom. Il sous-entend en effet que tous les autres courants féministes sont, par corollaire, « anti-sexe ». Il renforce, même sans le vouloir, la vieille idée selon laquelle les féministes représenteraient l’antithèse du plaisir, du désir, de la liberté, du charnel. Or, il est faux de croire qu’il y aurait d’un côté les féministes « pro-sexe », qui militeraient pour la libération des corps, et d’un autre les féministes « anti-sexe », hostiles à toute tentative des femmes de jouir de leur sexualité.

Les féministes dans leur globalité militent justement pour l’accession de chacun-e à une vie sexuelle et amoureuse libre et épanouie, dépouillée de toute contrainte, injonction et danger. Le terme « pro sexe » en lui-même ne signifie rien. Qui est « contre » le sexe ? Qui (mouvements réactionnaires mis à part) s’oppose encore au droit des individus à investir leur corps et à mener leur vie sexuelle comme ils l’entendent ? Le féminisme dit « pro sexe » est, en réalité, un féminisme qui voit dans la pornographie et la prostitution de possibles vecteurs de libération des femmes.

Or, le sexe n’a rien à voir avec le porno ni avec la prostitution. C’est de pouvoir, dans sa forme la plus néfaste, dont il s’agit.

Non, le marché du sexe ne libère pas les femmes. Non, la marchandisation des corps ne va pas dans le sens du progrès. Non, ni le porno ni la prostitution ne sont des vecteurs d’émancipation féminine. Et c’est là que l’argument du « choix » est généralement brandi, certain-e-s arguant que de nombreuses actrices porno et/ou travailleuses du sexe ont choisi leur activité librement. Or, évoquer la notion de choix dans ce contexte, c’est faire preuve d’une grande malhonnêteté intellectuelle.

Comment en effet parler de choix individuel, dans un monde où la marchandisation des corps féminins est considérée comme une normalité insignifiante ? Dans une société où les femmes sont nettement plus à même de souffrir de précarité économique que les hommes – et donc, de recourir à des moyens « extrêmes » pour gagner de l’argent ? Posons-nous les bonnes questions : dans un monde égalitaire, où l’accès aux ressources matérielles et au pouvoir serait aussi facile pour les femmes que les hommes, les travailleuses du sexe existeraient-elles seulement ? Pourquoi les prostituées sont-elles en grande majorité des femmes ? Si la prostitution est une activité librement choisie, pourquoi est-elle si rarement choisie… par les hommes ? En somme, la question qu’il faut se poser est la suivante : derrière ce que l’on considère comme un choix libre et éclairé, se cache-t-il une envie ou un besoin ?

Le choice feminism, ce courant de pensée qui affirme que les choix individuels de chaque femme sont intrinsèquement féministes parce qu’ils sont le fruit de son libre-arbitre, est certes à la mode. Sans doute parce qu’il est rassurant ; parce qu’il permet, aussi, d’éviter des discussions qui dérangent. Pourtant, il n’est qu’un leurre. Les choix que nous faisons portent le poids de la société dans laquelle nous avons grandi : ils ne sont pas neutres. Même si nous sommes persuadé-e-s de pouvoir faire des choix libres et éclairés, le système dans lequel nous vivons, avec son lot de normes, d’injonctions, de codes culturels et sociaux, de rôles préétablis, nous barre la route. Il nous influence, nous contraint, nous pousse dans des directions prédéterminées.

Un homme fait rarement le choix de se prostituer, parce qu’il vit dans une société qui le dispense de devoir faire ce choix. Il vit dans une société où le corps des hommes ne s’achète pas ; dans une société où le pouvoir économique lui est plus facilement accessible ; dans une société où l’esclavagisme sexuel a un genre – le genre féminin. Le choix de « disposer de son corps librement » n’est en réalité pas un choix : c’est un besoinvoire, parfois, une cruelle nécessité.

Certaines autrices, comme Virginie Despentes, vont jusqu’à comparer le contrat marital au contrat prostitutionnel. Je pense fermement que, si la comparaison pouvait être pertinente dans les années 50, elle ne tient plus. Les mariages d’aujourd’hui sont, a priori, des mariages d’amour. Les femmes sont indépendantes : elles n’appartiennent plus à leur conjoint. Les couples sont de plus en plus égalitaires, les rôles genrés de plus en plus flous : le temps où les hommes et les femmes se mariaient pour en retirer des avantages mutuels est (presque) révolu.

L’imaginaire glamour diffusé par certains films et séries (je pense notamment à Jeune et jolie de François Ozon, où une jeune et belle étudiante tombe dans l’engrenage de la prostitution sans que son aspect scabreux ne soit jamais abordé), et les paillettes des documentaires sur les riches escort-girls dont la vie ne serait qu’une longue balade de santé entre voyages lointains, sacs de marque et dîners dans des grands restaurants, concourent effectivement à renforcer l’idée selon laquelle le travail du sexe peut être un vecteur de puissance.

Cependant, la réalité de quelques rares personnes ne représente en aucun cas la réalité d’un système global. Dans l’immense majorité des cas, les prostitué-e-s travaillent au sein d’un réseau. Outre le fait que cette situation est probablement loin d’être un choix et encore moins une source d’amusement pour les concerné-e-s, il est bon de rappeler que le cœur du sujet n’est même pas le sexe, mais bien la traite des êtres humains et l’impunité dont elle bénéficie. De manière logique, la prostitution est à l’origine d’importants troubles psychotraumatiques et de comportements à risque (consommation de drogue, alcool…) chez les concerné-e-s. Le corps s’abîme, et l’esprit avec. Les blessures sont auto-infligées, ou bien causées par un tiers : ainsi, 71% des personnes prostituées ont subi des violences physiques avec dommages corporels (de la part de clients ou proxénètes), 63% ont subi des viols, 64% ont été menacées avec des armes,75% ont été SDF à un moment de leur parcours, et 89% veulent sortir de la prostitution (Melissa Farley, Prostitution and Trafficking in Nine Countries, 2003).

Pourquoi passer cette réalité sous silence ? Pourquoi vouloir faire d’un outil d’asservissement et de marchandisation des corps un vecteur de puissance – la puissance d’avoir fait un choix, et la puissance de l’exercer librement ? La prétendue liberté de se prostituer n’est en réalité que la liberté des hommes de contrôler et de dominer le corps des femmes. Ceux qui les exploitent, et ceux qui les achètent.

Du côté du porno

Le porno, avec son imaginaire basé sur des mécanismes éculés de domination masculine (l’homme prend, l’homme joue, puis l’homme jouit), ne fait que transposer à l’image la structure inégalitaire de notre société. Ce faisant, elle joue un rôle dans sa pérennisation. Au-delà de la violence intrinsèque à cette industrie, nous devons parler de la violence qu’elle engendre, comme une éclaboussure. Bien loin de libérer les corps, le porno les enferme dans des rôles rigides, l’homme nécessairement viril et puissant s’opposant à la femme nécessairement passive, inerte et objectifiée. Le premier est sujet (il agit), la seconde est objet (elle reçoit, ou subit). Les corps sont filmés par des hommes, pour des hommes, dans des mises en scène qui relaient un imaginaire structuré autour de la domination masculine.

Certes, certaines vidéos renversent les rôles en proposant des scénarios où les femmes sont « dominatrices », mais ces dernières sont l’exception à la règle. Ne parlons même pas du contrôle exercé sur le corps des actrices porno, qui peut se lire comme une seconde forme de violence : épilation intégrale, maquillage, blanchiment de l’anus (oui, ça existe !), chirurgie esthétique… Les corps doivent être esthétiquement « parfaits », performants et prêts à tout encaisser. Lisses. Mécaniques. Dépouillés de leur dimension humaine.

De nombreux hommes hétérosexuels ont témoigné de la façon dont le porno avait façonné leur imaginaire fantasmagorique ainsi que leur appréhension des relations amoureuses et sexuelles. Sans surprise, ces derniers évoquent l’influence négative qu’a eue leur consommation de porno sur leur vie sexuelle, et la façon dont cela les a amenés à considérer leurs partenaires féminines. Hégémonie du plaisir masculin, jouissance par la domination, corps féminin réduit à un objet masturbatoire, non prise en compte du consentement de sa partenaire, difficulté à jouir lors d’une relation sexuelle « normale », attentes disproportionnées sur le physique de ses partenaires…

Les séquelles d’une éducation sexuelle faite avec le porno peuvent être lourdes, non pas tant pour les hommes (même si elle peut avoir des conséquences malheureuses) que pour… les femmes. Ce sont elles, les grandes perdantes de la massification du porno. Elles qui seront objectivées dans leurs corps à corps. Elles dont le plaisir sera laissé de côté, parce que considéré comme sans importance. Elles dont le consentement sera, parfois, arraché de force. Elles qui devront se plier aux injonctions esthétiques prescrites par l’industrie du porno. Elles qui courront un plus grand risque d’être forcées, agressées ou violées.

Si l’on considère que les violences faites aux femmes sont un continuum, on doit accepter l’idée que ce qui se passe dans la chambre à coucher de chaque individu est intrinsèquement politique. Car la dévalorisation du féminin dans le sexe entraîne, par un effet rebond, la dévalorisation du féminin dans les autres domaines. Les hommes eux-mêmes le reconnaissent. Comment envisager les relations amoureuses sous un prisme égalitaire lorsque son imaginaire s’est construit sur le plaisir de contempler des femmes se faire dominer, maîtriser, humilier ? Comment voir les femmes comme des êtres humains à part entière lorsque le porno nous a appris à ne les envisager que comme des objets, des vecteurs de plaisir passifs et secondaires ?

Le porno ne serait pas tant un problème s’il se contentait de montrer des individus engagés dans des rapports sexuels consentants, dans quelque configuration qu’ils souhaitent ; mais le système d’exploitation et de domination qu’il met en exergue représente un réel danger. De fait, la pornographie – tout comme la prostitution – concourt à renforcer un système de domination masculine déjà bien solidement ancré.

Que dit le système prostitutionnel, si ce n’est qu’il est possible d’acheter le corps d’une femme ? Que le consentement d’une femme peut être outrepassé par de l’argent ? Que le sexe n’est pas la rencontre de deux individus libres et consentants, mais une transaction monétaire ?
Que dit le porno, si ce n’est que les femmes sont de simples objets dont le rôle est de servir le plaisir masculin ?
Que fait le porno, si ce n’est concourir à normaliser la violence et la coercition sexuelle ?

La libération sexuelle a du plomb dans l’aile

Au-delà de ces deux sujets particuliers que sont la pornographie et de la prostitution, il faut aussi évoquer la « hook-up culture », expression sans réel équivalent en français qui désigne la prévalence des relations sans attaches et autres coups d’un soir. Une composante nécessaire de la liberté sexuelle et une révolution bienvenue, pour le mouvement pro-sexe. Il est vrai que, après des années de contrôle social du corps des femmes, ce souffle de liberté apparaît comme positif. Les femmes doivent, au même titre que les hommes, pouvoir coucher avec qui elles veulent, quand elles veulent… avec autant de personnes qu’elles veulent. Pour autant, la liberté sexuelle prônée par les féministes pro sexe est-elle vraiment un progrès ? Et surtout : à qui profite-t-elle réellement ? Réfléchissez-y, à travers le prisme de vos propres expériences ou de celles de votre entourage.

Combien de personnes s’abîment dans des relations superficielles qui les font se sentir encore plus seules, simplement parce qu’elles croient qu’il s’agit de ce que la société attend d’elles ? Combien de personnes vivent-elles une sexualité qui n’est pas la leur, mais celle que les codes sociétaux ont défini comme étant cool ? Combien de personnes sont exclues du plaisir, de l’échange, de l’intimité, de la satisfaction que permet le sexe, simplement parce qu’elles ne l’abordent pas sous un angle personnel mais normatif ?
De plus, nous ne pouvons ignorer cet état de fait : la sexualité hétérosexuelle reste, d’une manière générale, un lieu de reproduction de la domination masculine. Elle n’est pas coupée du reste du monde et elle n’est pas « sans danger », en témoignent le nombre ahurissant de femmes ayant subi des coercitions sexuelles, des agressions et des viols de la part de leurs partenaires. Elle n’est pas un lieu neutre, débarrassé des oppressions sexistes qui ont cours dans la sphère publique.

Le privé est politique, même sous la couette. Prétendre que le sexe est forcément joyeux, libérateur et épanouissant est un mensonge. Le sexe peut être quelque chose de génial, comme il peut être quelque chose d’horrible, de dégueulasse et de traumatisant. Tout dépend d’une infinité de paramètres, qu’il ne suffit pas d’ignorer pour prétendre qu’un rapport sexuel est nécessairement source de plaisir. D’ailleurs, si le sexe était si formidable que ça pour les femmes, pourquoi seraient-elles majoritairement insatisfaites de leur vie sexuelle ? (Selon une étude réalisée en 2011 sur 3400 Françaises vivant en couple hétérosexuel, 76,8% d’entre elles se déclaraient en manque de sexe ou du moins insatisfaites sexuellement).

Le féminisme « pro-sexe », s’il part d’une excellente intention, rajoute à la liste des injonctions faites aux femmes une énième sommation : pour être une femme libre, il faut baiser. Il faut avoir des coups d’un soir, il faut « explorer sa sexualité », il faut « tester des choses », il faut « en profiter ». Fort bien. Et où est l’envie, dans tout ça ? Tout le monde n’aborde pas la sexualité de la même manière – c’est tout bonnement impossible, puisqu’il existe autant de sexualités différentes qu’il existe d’individus. Tout le monde n’est pas capable de dissocier sexe et sentiment. Tout le monde n’a pas une appétence uniforme pour les coups d’un soir, ni même pour le sexe. Tout le monde n’associe pas le sexe à la liberté ou à la puissance. Tout le monde n’a pas envie de coucher avec un chapelet sans cesse renouvelé de partenaires. Tout le monde n’a pas envie de se « libérer » (se libérer de quoi, d’ailleurs ?) par le sexe. Sur cette question, le féminisme pro sexe ne « libère » finalement que les personnes capables d’aborder la sexualité avec désinvolture, ou d’envisager cette dernière sous un angle plus quantitatif que qualitatif. Ce faisant, il exclut de son spectre ou du moins stigmatise toutes les autres.

Lorsque Ovidie affirme que « […] les métiers du sexe ont donc un rôle à jouer pour que les femmes s’amusent sexuellement. Le sexe, c’est important ; on ne peut pas espérer une société égalitaire là où il y a répression du sexe. », elle associe des notions qui n’ont rien à voir les unes avec les autres. Associer « l’amusement » aux métiers du sexe est un terrible contre-sens, pour toutes les raisons que nous avons mentionnées ci-dessus. Prétendre que les prostitué-e-s ou les actrices porno « s’amusent » dans leurs métiers, quand on sait la réalité qu’ils recouvrent, c’est leur faire affront.

Par ailleurs, il est important de distinguer le sexe (une activité que l’on pratique a priori de manière volontaire, pour son simple plaisir personnel, et non pour en retirer quelque chose) des métiers du sexe (qui restent, comme leur nom l’indique, un travail, et n’existent que par la contrainte économique qui les précède).

De même, il y a un monde entre réprimer le sexe et le marché du sexe. On peut vouloir réguler le marché du sexe tout en enjoignant les femmes et les hommes à conquérir leur sexualité. Au niveau individuel, il est bien évident que le sexe ne doit pas être réprimé. Au niveau global, en revanche, les excès de cette industrie doivent pouvoir être nommés, puis combattus. Il est important de rappeler que dans une société égalitaire, le porno et la prostitution tels qu’on les connaît n’existeraient tout simplement pas. Et c’est donc vers l’égalité des sexes que nous devons tendre avant toute chose… même si l’entreprise est massive.

Conclusion

Si le porno et la prostitution sont deux sujets intrinsèquement différents, ils n’en demeurent pas moins les deux épines d’un seul et même mal. Ils sont en effet la personnification de la domination masculine. 

Ce ne sont pas des espaces de liberté mais des business dirigés par les hommes, pour les hommes. En servant les hommes, ils enferment les femmes, malgré ce que voudrait nous faire croire l’émergence d’un discours sur « l’empowerment » généré par le sexe.
Bien sûr que le sexe peut être une source d’empowerment (il ne l’est pas toujours). Bien sûr qu’il est important de libérer les corps. Mais c’est là qu’il faut distinguer le sexe de l’industrie du sexe. Ce n’est pas la même chose : nous ne pouvons plus faire l’amalgame entre les deux. L’industrie du sexe ne libère pas les corps. Elle les mutile, à l’intérieur comme à l’extérieur.

Il est temps de regarder enfin le porno et la prostitution pour ce qu’ils sont : de la violence, de la coercition, de l’exploitation, de la souffrance. Et plus encore, un terreau fertile pour les inégalités de genre. Cessons de les glamouriser. Cessons de croire que les femmes qui s’y jettent le font au nom de leur liberté, de leur libre-arbitre. Cessons de croire que ces femmes en sortiront indemnes, si seulement elles le veulent bien. Cessons de croire que leur existence n’est pas le symptôme de quelque chose de grave, et que leur influence ne dépasse pas la sphère individuelle.

Interdire ? Abolir ? C’est encore un autre sujet, ô combien épineux. En attendant, nous pouvons décider de poser un regard critique sur le marché du sexe. Nous pouvons décider de le condamner, de reconnaître les dégâts qu’il produit, de dire non, d’être fermes. Sans jamais oublier que les femmes qu’il exploite ne sont pas à blâmer. Que l’ennemi, tapi dans l’ombre, reste toujours le même : le système patriarcal.
Certaines féministes pro-sexe s’insurgent du fait qu’une position abolitionniste infantiliserait les femmes, et les empêcherait de faire des choix libres. Or, c’est précisément le système patriarcal qui infantilise les femmes et les contraint à faire des choix qui n’en sont pas.

Les féministes dont je suis ne veulent pas priver les individus de leur libre-arbitre, mais simplement les aider à s’épanouir dans un monde sans coercition ni violence sexuelle. Dans un monde où l’égalité n’est pas seulement théorique, mais aussi réelle. 

Oui, la révolution féministe doit passer par le corps. Mais elle ne doit pas se focaliser uniquement sur cet aspect-là. L’esprit doit aussi être réinvesti, avec des débats, des paroles, des pensées, des réflexions, des éclats de voix. Contrairement à la chair, dont le prisme est éphémère, il s’inscrit dans la durée.