Le 16 octobre dernier, un professeur d’histoire-géographie, Samuel Paty, a été décapité dans la rue pour avoir montré en classe des caricatures de Mahomet.
Ecrire ces mots a quelque chose d’insensé. Quel monde permet cela ? Jusqu’où va t-on aller dans l’horreur ?
De nouveau, les Français-es se rassemblent, s’indignent. De nouveau, les politiques se répandent en promesses qu’ils ne tiendront pas. Mais c’est un curieux silence qu’on rencontre dans les sphères de gauche, et particulièrement – c’est pourquoi j’écris cet article – dans les sphères féministes. Un silence qui, en réalité, se prolonge depuis des années.
Je ne connais pas toutes les féministes françaises, loin s’en faut. Mais parmi toutes celles que je suis, une seule a réagi à cet attentat… en relayant un communiqué du Collectif contre l’islamophobie en France, association qui, on le rappelle, est dans le viseur du gouvernement pour son prosélytisme des plus ambigus.
Pas un mot pour Samuel Paty, assassiné dans les conditions les plus atroces. Pas un mot pour sa famille. Pas un mot pour la liberté d’expression, pas un mot pour la liberté de “blasphémer”, d’autant plus importante qu’on sait que les religions ont toujours été les ennemies des femmes.
On s’était heurtés au même silence lors de l’affaire Mila, cette adolescente qui avait critiqué l’islam de manière virulente sur son compte Instagram en janvier dernier. Obligée de se déscolariser, elle avait reçu des dizaines de milliers de menaces de mort et de viol, qui semble t-il se poursuivent encore.
Aucune féministe ne lui avait alors publiquement apporté son soutien, laissant le champ libre aux seuls réacs de droite et d’extrême droite. La sororité ? Oui, mais à géométrie variable.
Et le silence. Toujours le même. Aujourd’hui, la vie de Mila n’est toujours pas revenue à la normale. Elle n’a pourtant que fustigé une religion pendant 30 secondes, chose dont se rendent “coupables” au quotidien de nombreux athées pour qui dieu ne signifie rien, chose que vous avez peut-être déjà faite, chez vous, à la différence qu’il n’y avait pas votre téléphone pour vous filmer.
J’avais commencé à écrire un article au moment de cette affaire, et puis j’avais laissé tomber, faute de trouver les bons mots. Mais aujourd’hui, je ne peux plus me taire. Car ces silences coupables, complices, gorgés de la violence du déni, me sont insupportables.
Je refuse que la parole féministe soit uniforme, standardisée, qu’elle suive une doctrine précise, un protocole bien défini, sans jamais s’éloigner de son petit chemin bien balisé. Qu’elle se montre complaisante avec certaines mouvances, qu’elle ferme les yeux sur nos ennemis, qu’elle leur trouve même des excuses, qu’elle se taise lâchement sous le prétexte fallacieux qu’il ne faut pas faire d’amalgames.
A t-elle peur ? Est-elle tombée dans les affres de ce qu’on appelle la “pureté militante” ?
Quelle que soit l’explication, n’ayons pas peur de dire :
Assez.
Notre pensée possède assez de nuances pour faire la différence entre religions et intégrismes. C’est une insulte à l’intelligence humaine de croire que personne n’est capable de faire la distinction entre les deux.
Le féminisme a longtemps dénoncé le silence, la complicité de ceux qui se taisent face aux violences et aux inégalités. Il l’a dit et répété : le silence EST une violence. Il est grand temps désormais qu’il applique sa doctrine à toutes les violences, et non plus seulement à celles qu’il sélectionne en fonction de critères plus ou moins opaques. Il est grand temps qu’il s’occupe de sa propre lâcheté, celle-là même qu’il est si prompt à dénoncer chez les autres.
Se taire face aux intégrismes religieux, se taire face aux menaces insidieuses qui planent sur nos libertés, se taire face à une jeune femme menacée de mort pour avoir blasphémé, en France, en 2020, se taire face à la mort d’un homme qui n’avait rien fait d’autre que son métier. C’est vraiment ça, ce que nous voulons ?
Assez. Ce silence-là est tout aussi coupable et déshonorant que ceux que nous combattons depuis des années.
Le féminisme qui se tait n’est pas le mien. Je suis française, athée, et je défendrai toujours, toujours, nos libertés.
Aujourd’hui a lieu l’hommage national à Samuel Paty. Pensons à lui et à sa famille.
Ça ne doit pas recommencer.